
Le psy qui soigne les phobies avec la réalité virtuelle
UN TOUR VERS LE FUTUR – Peur du métro, de l’avion, de la foule… des phobies courantes et difficiles à soigner, car il faut presque rééduquer le corps. C’est ce que fait le psychanalyste Rodolphe Oppenheimer avec sa thérapie qui utilise un casque de réalité virtuelle. L’occasion pour le patient de se confronter à ses peurs mais de pouvoir quitter l’expérience à tout instant. Rencontre avec un homme tourné vers le futur.
Détours : Que change concrètement l’utilisation de la machine dans la relation entre le psychanalyste et son patient ?
Rodolphe Oppenheimer : Jusqu’à présent, le praticien recevait un patient, lui apprenait à se détendre en fermant les yeux. À un phobique du métro par exemple, il demandait de s’imaginer à l’intérieur du transport en question, et lui expliquait au même moment pourquoi il n’y avait aucun risque. Puis le spécialiste l’informait que la prochaine étape serait de se rendre dans une rame de métro. Pour un problème de temps évident, les psychanalystes ne pouvaient accompagner tous leurs patients au quotidien.
Je me suis aperçu que beaucoup de patients qui n’étaient plus accompagnés au bout de 4/5 séances n’allaient pas plus loin, et ce malgré leur bonne volonté. Ils ressentaient alors un sentiment d’échec et de honte envers leur famille, et tous ceux à qui ils avaient parlé de leur thérapie. Grâce à la réalité virtuelle, je peux accompagner la personne. Puis je m’éloigne, en même temps que la phobie elle-même.
Dans quel cas considérez-vous la réalité virtuelle efficace pour participer à la guérison du patient ?
Quand une phobie est très envahissante et handicapante, la personne a ce que l’on appelle un « TAG » : un trouble anxieux généralisé. Un patient qui a très peur de l’avion, même s’il ne voyage pas, par extension, ne se sentira pas bien dans un aéroport. La réalité virtuelle permet de décortiquer la phobie et de la vaincre progressivement. J’ai demandé à construire plusieurs environnements. Avec mon casque, le patient commence tout doucement à passer les portes d’Orly. Cela nous permet de progresser étape par étape. Soigner une phobie est comme une rééducation du corps. Il faut réapprendre à vivre.
Comment prenez-vous la décision d’utiliser ou non la machine ?
Lors des premiers entretiens, je comprends la phénologie du patient et j’évalue s’il a besoin ou non de la réalité virtuelle pour guérir. Si la personne le souhaite, même si son trouble ne nécessite pas l’intervention de la technologie, je peux quand même lui faire une démonstration. Il ne faut pas freiner son envie. Je ne veux pas la décourager alors qu’elle est déterminée à reprendre le contrôle de sa vie. Mais je vais lui suggérer une autre méthode plus adaptée à son cas.
Dans le cas où je décide d’utiliser l’outil, je ne fais jamais que de la réalité virtuelle. Pour moi, guérir un symptôme n’est pas guérir la cause. Je ne veux pas soigner une phobie pour en voir apparaître trois autres. Je demande alors au patient de mettre tous ces sens en éveil et de me dire tout ce qu’il lui passe par l’esprit. Je récolte tous ces éléments pour en faire des objets de travaux. Je les adapte ensuite afin de personnaliser les situations diffusées par le casque.
Quel type d’effort nécessite le recours au casque virtuel pour vos patients ?
Lorsqu’il s’agit d’une phobie, d’une occurrence, d’une chose circonstanciée, je compte entre 7 et 12 séances de réalité virtuelle. Une séance avec la machine dure environ 1 heure, alors qu’une consultation normale 40 minutes. Le patient doit rester exposé au minimum 20 à 30 minutes, sinon le cerveau n’enregistre pas le gain. Ce n’est pas de la magie, il ne suffit pas d’enfiler le casque sur les yeux pour être guéri. La réalité virtuelle nécessite beaucoup d’efforts de la part du patient.
Quels sont leurs premières impressions ?
Les gens sont curieux. Je reçois 25 patients par semaine. Certains perçoivent la réalité virtuelle comme une dernière chance, là où toutes les autres méthodes pour vaincre leurs phobies ont échoué.
Nous sommes aux prémisses du progrès technologique. Quelles avancées avec la virtualité sommes-nous en droit d’attendre dans le futur ?
Le progrès technologique que l’on peut espérer dans le domaine des thérapies comportementales et cognitives serait de passer carrément à la réalité augmentée. On abandonnerait alors l’image de synthèse pour se plonger dans une image filmée. L’exercice en deviendrait encore plus réaliste.
Dans les prochaines années, le progrès devra-t-il s’opérer aussi dans les mentalités ?
Le docteur Eric Malbos, médecin praticien en service de psychiatrie à Marseille, a été le premier à parier sur cette nouvelle technique. Aujourd’hui, nous ne sommes pas plus d’une dizaine de thérapeutes en France à utiliser cette méthode pour soigner les phobies. D’abord, parce que les machines et les environnements que l’on commande ont un coût élevé. Mais aussi parce que certains confrères ne veulent pas y croire. D’autres encore, les plus cyniques, y voient un progrès dangereux pour la profession et m’ont dit « t’en sers pas trop, tu vas les guérir trop vite ! » C’est atroce. Moi, à chaque fois qu’il y a des causes où je peux aider humblement, je suis sur-partant. Je préviens même mes patients : « Je ne vous abandonnerai jamais mais vous n’aurez pas besoin de rester très longtemps. »
Propos recueillis par Juliette Hochberg
Crédit photo : Paul Cloud
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