
Alors que CANAL+ diffuse actuellement la série "Super Pumped " qui retrace l’histoire de la startup américaine leader du VTC, voici celle plutôt controversée de son ancien patron, Travis Kalanick.
Un Américain à Paris. « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende ». Cette phrase de John Ford s’applique pour le portrait de Travis Kalanick, co-fondateur avec le Canadien Garrett Camp d’Uber, une startup qui au-delà d’avoir révolutionner la mobilité sera aussi à l’origine d’un nouveau mot : ubérisation. La définition officielle est celle-ci : « remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur Internet ».
Commençons par la légende martelée par Travis Kalanick dans toutes ses interviews. Uber serait né un soir de décembre 2008 à Paris. Garrett et Travis sortaient d’une conférence tech à Paris (LeWeb) et souhaitent rentrer dormir. Mais impossible de trouver un taxi disponible. En attendant — ils finiront par en trouver un — les deux se disent qu’il faudrait inventer une application afin de réserver une course directement depuis son téléphone. Uber est presque né. Si officiellement, cette anecdote est toujours la version officielle, l’histoire de l’entreprise remonte pourtant à quelques années plus tôt.
Travis Kalanick est né le 6 août 1976 à Los Angeles. Sa mère travaille dans la publicité, son père est ingénieur et il étudie l’informatique. Un parcours classique. Sauf que le jeune Américain quitte l’université pour fonder, avec cinq autres personnes, la startup Scour, spécialisée dans le peer to peer. Même si le projet recense 250 000 utilisateurs, la première débâcle arrive quand la société, face à des menaces de procès en lien avec le droit d’auteur, se déclare en faillite. De là, il relance ce qu’il appelle un « revenge business » : il créé un service qu’il compte vendre aux mêmes entreprises qui ont intenté un procès contre lui.
Sa boite s’appelle RedSwoosh et sept ans après son lancement en 2000, il la revend pour 23 millions de dollars. On parle alors d’un entrepreneur « doué pour s’extraire de situations délicates. » De son côté, Garrett Camp est également un jeune millionnaire puisqu’il a revendu sa boite baptisée StumbleUpon à Ebay pour 75 millions de dollars. En 2007, les deux se rencontrent à Hawaï lors d’un événement de réseautage.
Just found this screenshot of Uber from 2011 on my iPhone – 4 cars in all of NYC! (and no, that's not my address) pic.twitter.com/jQ1thwM3fo
— Dennis Crowley 🇺🇸 // dens@home.social (@dens) September 25, 2019
Co-pilotage. À la fin de l’année 2008, ils sont ensemble à Paris pour une conférence. À ce moment-là, Garrett Camp a une idée d’application pour le web — Apple Store et les applications n’en sont qu’à leurs débuts — qui permettrait de réserver des taxis et des limousines. Il a déjà le nom, UberCab, et la vision. Il veut qu’on puisse commander un véhicule directement depuis son iPhone. Mais dans l’idée, Garrett compte acheter des limousines pour opérer ce service. Travis, qui sort tout juste de l’aventure RedSwoosh, réfléchit quant à lui à créer un réseau mondial d’appartements.
La vision de Garrett séduit Travis, qui a cependant quelques idées à apporter, notamment celle de faire appel à des chauffeurs pour les connecter à des usagers qui ont besoin de se rendre d’un point À à un point B. Pas besoin d’investir dans une flotte de véhicules. « C’est Garrett qui a inventé ce putain de concept qui vous permet de vivre dans le futur et d’être un roi en appuyant simplement sur un bouton de l’appli. J’ai simplement envie de l’applaudir et de l’enlacer en même temps », a confié Travis, comme on peut le lire dans cet article de Numerama.
Il y a 10 ans jour pour jour, Travis Kalanick tweete la première offre d'emploi d'#Uber sur Tweeter.
Ryan Graves répond et devient le premier employé d'#Uber (il est maintenant milliardaire) pic.twitter.com/4czmq4byzD— Christophe El Harake (@c_elharake) January 5, 2020
Démocratisation du service. De retour à San Francisco, les deux hommes se revoient pour peaufiner les futures stratégies. En 2009, il existe déjà des sociétés comme UberCab, par exemple Taximagic ou encore Cabulous. La même année, Apple lance l’iPhone 3G, qui est équipé d’un GPS. En août 2009, Kalanick débarque officiellement chez UberCab et en coulisses, les équipes de la startup codent la première version de l’application. Comme l’écrit Benjamin Chaminade, auteur d’un podcast sur la saga Uber, UberCab est « la première application qui offrait une solution intégrée de la commande de taxi jusqu’au paiement de la course sans passer par du cash pour payer le chauffeur à la fin de la course ». Une révolution.
En mai 2010, Apple autorise l’application Uber et l’inscrit dans son store. En octobre 2010, Travis Kalanick est de plus en plus impliqué dans la société qui raccourcit son nom pour devenir Uber. Il finira par en devenir le PDG en décembre de la même année.
Mais à ce moment-là, le service, qui n’est disponible qu’à San Francisco, est plus cher que les taxis de la ville. Et rares sont encore les chauffeurs qui connaissent l’application et l’utilisent — au point où, pour commencer, Uber fournira des centaines d’iPhone aux chauffeurs pour qu’ils puissent travailler et découvrir l’appli. De plus, ce service est destiné à une clientèle aisée et aux jeunes branchés avec un pied dans la tech. En revanche, Uber possède une équipe, des employés et vient de lever des fonds pour se développer. Sous l’impulsion de Kalanick, Uber devient une application de mise en relation et n’est plus une société de limousine.
That time in early 2011 in San Francisco when an overly friendly man called Travis offered to get me a car home from dinner. I had no idea about @Uber at that point. Crazy world. pic.twitter.com/zGauRu7IYD
— Paddy Cosgrave (@paddycosgrave) May 11, 2019
Uber va véritablement devenir Uber en 2013, date de sa popularisation. Déjà, elle se développe à l’international (Londres, Paris, Singapour, etc.) et opère dans 60 villes sur les six continents. Mais surtout, la startup a lancé en 2012 UberX, soit le même service, mais en moins cher. Rapidement, la société fait face à de nombreux problèmes, et principalement la colère des chauffeurs concurrents.
La méthode de Travis pour s’imposer ? Ne pas respecter les règles. Il lance par exemple Uber à New York en 2012 dans l’illégalité, comme le précise The Verge. Et même s’ils refusent de salarier les chauffeurs — qui sont indépendants ou auto-entrepreneurs — le fait est que les usagers veulent utiliser Uber et que les villes finissent par autoriser le fonctionnement de l’application. Uber, c’est comme Starbucks : c’est cool.
La société Uber fait l'objet depuis 2015 d'une enquête pour "travail dissimulé" qui s'intéresse aux conditions d'emploi de ses chauffeurs de VTC, a indiqué mercredi à l'AFP une source proche du dossier, ce qu'a confirmé le parquet de Paris #AFP pic.twitter.com/3xBQH3LLSE
— Agence France-Presse (@afpfr) December 8, 2021
La dégringolade. La suite sera moins glorieuse pour le cofondateur. Travis Kalanick est accusé d’avoir laissé s’installer une culture d’entreprise sexiste et discriminatoire. Un article du New York Times de 2017, l’année où l’Américain démissionne sous la pression des actionnaires, dresse un tableau noir : comportements discriminants, harcèlement sexiste et sexuel, etc. Au total, vingt salariés seront licenciés et un chauffeur Uber de 37 ans, Kamel Fawzi, publie sur Internet une altercation qu’il a eu avec Travis Kalanick à bord de son véhicule. « C’est clair que cette vidéo montre qui je suis, et les critiques que nous avons reçues sont un clair rappel que je dois changer fondamentalement en tant que dirigeant et devenir adulte. C’est la première fois que je l’admets, j’ai besoin d’aide au niveau managérial et j’ai l’intention d’y avoir recours », avait répondu le PDG suite à cet incident. Mais le 21 juin, il démissionne, et laissera des traces de son passage chez Uber. Depuis, Dara Khosrowshahi a repris les reines. Et en 2022, la société indique être enfin rentable.
Quant à Travis, après son départ, il a lancé une société de capital risque ainsi qu’une société qui « redéveloppe » des biens immobiliers. Il est aussi aux commandes de CloudKitchens, « un réseau de cuisines partagées à disposition des restaurants », indique Presse-Citron. Il a par contre refusé de participer à la série Super Pumped inspirée du livre du même nom et écrit par le journaliste Mike Isaac. Facile de comprendre pourquoi.
Super Pumped, à regarder actuellement sur CANAL+.