
On la pensait coincée dans les années 2000, au pire réservée aux salles de tortures de Corée du Nord, et pourtant elle fait encore souffrir 250 millions de personnes à travers le monde : la présentation Powerpoint. Pourquoi c’est ringard, dangereux et inutile : démonstration en cinq slides.
Quelque part à Kaboul.
La scène se passe en 2010, dans une salle de commandement américaine. Tout ce que l’armée compte de têtes pensantes est réuni sous une tente pour réfléchir à la manière d’endiguer la guerre en Afghanistan. Pour y arriver, un gros malin de l’Etat-Major a eu une bonne idée : réaliser une présentation Powerpoint censée résumer la situation. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu : le schéma est imbitable. . « Quand nous aurons compris ce schéma, nous aurons gagné la guerre » déclare alors le général Stanley McChrystal.
Rires dans la salle. Et puis en fait, non. Plus personne n’a envie de rire. Quelques mois plus tard, le problème remonte directement à la maison mère, au Pentagone. Un autre général, James Mattis, va alors jusqu’à affirmer que « ce logiciel nous rend tous complètement idiots […] C’est dangereux, parce que ça peut créer l’illusion que l’on comprend et que l’on contrôle une situation Or, dans le monde, certains problèmes ne sont pas transformables en puces ». Pour une fois, tout le monde est d’accord avec les militaires.
A chaque fois : des polices moches, des couleurs criardes et des termes écrits en gros, en Anglais, pour faire plus pro, avec le classique slide de fin MERCI pour faire croire que c’était sympa.
Bullet-pointization de la pensée.
S’il devait initialement nous simplifier la vie, ce logiciel inventé voilà pile 30 ans (en avril 1987) est en réalité devenu un outil de pression psychologique bien connu de tous les salariés. Pas une seule réunion marketing où il ne soit déployé comme un cache-misère méthodologique, pas une semaine sans que quiconque ait à se taper une présentation de 30 minutes agrémentée de graphiques incompréhensibles, de slides à transitions dynamiques avec, à la clef, un profond ennui pour ces one-man shows bureautiques. Un papier du Guardian va même jusqu’à affirmer qu’à force de consacrer plus de temps à la synthèse des infos plutôt qu’au discours lui-même, la bullet-pointization imposée par Powerpoint nous rend tous stupides et irresponsables. Mais comment en est-on arrivé là ?
La dictature Powerpoint. La véritable naissance de Powerpoint remonte en fait aux années 50. A l’époque, les entreprises ressentent le besoin de marketeurs pour « vendre leurs idées en interne ». En d’autres termes : faire du team building avant l’heure. Avant la création de l’outil de torture, il fut donc un temps où les gens… parlaient. Mais rapidement, ça ne suffit plus. Vient alors l’invention du rétroprojecteur et des diapositives. Le terme slide du Powerpoint vient de là, et c’est ainsi que, 70 ans plus tard, vous en êtes encore à supporter le stand-up de Jean-Marc du service planning stratégique qui, la chemise en sueur et le verbe pas clair, vous anesthésie mieux qu’un tranquillisant. De présentations légères et sympas, on est passé à une dictature de l’exposé, comme à l’école, où chacun est désormais obsédé par la structuration de son grand oral (la forme), plutôt que par les idées (le fond). A chaque fois : des polices moches, des couleurs criardes et des termes écrits en gros, en Anglais, pour faire plus pro, avec le classique slide de fin MERCI pour faire croire que c’était sympa. Un cauchemar. Pourtant, des solutions existent.
“Les salariés, les élèves et les étudiants, qui préfèrent abandonner PowerPoint ne devraient plus avoir à se justifier”. (Le parti anti Powerpoint)
Un parti politique anti-Powerpoint.
Ne riez pas, il existe. Ca se passe en Suisse – un pays supposé être neutre, comme quoi – où des « Powerpoint Killers » se sont regroupés sous un même parti : le APPP, pour Parti politique anti-PowerPoint. Pour Matthias Poehm, leader du mouvement, ces présentations engendreraient une perte de productivité de 350 milliards d’euros par an (rien que ça). « Seulement encore 1294 membres et nous sommes déjà le 7ième parti de la Suisse » peut-on lire sur le site. La promesse de ce parti encore dépourvus d’élus : « Les salariés, les congressistes, les élèves et les étudiants, qui préfèrent abandonner PowerPoint ne devraient plus avoir à se justifier. Nous ne souhaitons pas abolir PowerPoint ; nous voulons seulement abolir l’OBLIGATION d’utiliser PowerPoint ». Là au moins, c’est clair. A travers le monde, c’est plus de 250 millions de salariés qui subiraient tous les mois d’assister à des présentations. On rigole, mais l’outil est devenu à la fois incontournable, totalitaire et vecteur d’une pensée unique (une idée, trois bullet points, une synthèse en Anglais). Appelons ça le Powerpoint Godwin.
Que faire ?
Commencez par débrancher le rétroprojecteur et regardez un sketch de Pierre Croce, un humoriste français (actuellement en tournée) qui prend un malin plaisir à se foutre de vos prez’ préférées, parce qu’il en a marre des « personnes qui utilisent PowerPoint comme un karaoké » (on le comprend). En cas de rechute, il existe malgré tout des alternatives et plusieurs suites bureautiques comme Prezi ou Zoho Show. Mais bon, ça restera toujours une suite de diapositives. En comparaison, et selon les spécialistes, le traditionnel tableau blanc reste 95% efficace. Et comme le résume l’expert en présentation visuelle Edward Tufte, « dans PowerPoint, l’information a tendance à être storyboardée comme pour une film. Mais la présentation n’est pas un film, et le présentateur est rarement Brad Pitt ». Voilà un argument parfait pour notre dernier slide.