
Hackeur de rêves
Ancien des services secrets israéliens, hacker de banques et chercheur reconnu en neuro-sciences, il veut espionner votre cerveau
Il est beau. Parle anglais, hébreux, français. Les cheveux poivre et sel, un jean, un t-shirt. Jusqu’ici, tout va bien. Mais ne vous fiez pas à look bien trop casual pour un homme qui ne fait rien comme tout le monde. A 40 ans, Moran Cerf est connu comme le hacker devenu neuro-scientifique. Déjà tout un programme. Ajoutez-y ses multiples vies comme designer, réalisateur de film, prof’ de fac, écrivain et spécialiste sécurité pour Israël, son pays d’origine. Et désormais hacker de rêves…Littéralement, il cherche à coder les fantasmes de la nuit.
Utopies délicieuses ou cauchemars longs et affreux, les rêves font partie de notre vie nocturne et intime… que Moran peut décrypter. Le grand bonhomme court les TEDx et autres conférences internationales pour expliquer sa méthode, entre neuroscience, psychologie et hacking.
Moran Cerf avec son copain Jake Gyllenhaal, crédit Neuro-hacks
Hacker de banques
Moran Cerf peut littéralement lire dans vos pensées. Comment ? En hackant votre cerveau. C’est qu’il a de l’expérience en la matière :
“Dix ans plus tôt, j’avais l’habitude de voler entre 7000 et 10000 dollars par mois. Je faisais partie d’une bande de trois hackers, et ensemble on hackait une banque, on prélevait l’argent et on allait voir le propriétaire de la dite banque pour lui dire : “Regarde, on a volé ton argent. Pourquoi tu ne nous en donnerais pas une partie pour qu’on t’aide à mieux sécuriser ta banque ?””, raconte-t-il dans une de ses présentations.
Le bonhomme s’est infiltré sans trop d’encombre dans les systèmes des plus grandes pointures du web, comme Amazon ou eBay. Une partie de sa vie a été faite d’opérations illégales, lucratives et aventureuses. Il retourne vite sa veste pour passer du côté des white hats – les hackers éthiques – en rejoignant la cellule sécurité du gouvernement israélien, avant de bosser pour des entreprises privées.
C’est une conférence de Francis Crick, sorte de pape de la biologie moléculaire anglais, qui le fait vriller vers la science : “Il a fait remarquer que pirater un cerveau humain était tout à fait similaire au hacking d’un ordinateur”. Au journal israélien Haaretz, Moran Cerf raconte :
“Le piratage est une entreprise très sisyphéenne. Vous travaillez pendant des heures et des heures, et la plupart du temps rien n’en ressort. Vous devez être patient et tester toutes les possibilités. C’est la même chose pour la science. Les outils de travail sont également similaires : vous utilisez la programmation, les mathématiques, les statistiques, beaucoup de science exacte.”
Faire du cerveau autre chose qu’une boite noire
Il se passionne très vite pour le cerveau et ses secrets. Moran Cerf se forme à la neuroscience et se lance dans des recherches sur le mécanisme de notre tête, comme le renseigne sa bio TED :
“Ses travaux de recherche empruntent des méthodes aux neurosciences pour comprendre les mécanismes sous-jacents de notre psychologie. (…) Il étudie le comportement, les émotions, la prise de décision et les rêves, en enregistrant directement l’activité de chaque cellule nerveuse en utilisant des électrodes implantées dans le cerveau.”
Son ambition : faire du cerveau autre chose qu’une boite noire. Bien sûr, nombreux sont ceux à avoir plancher sur le sujet avant lui. La différence, c’est que Moran Cerf utilise une technique atypique.
Les neuroscientifiques étudient habituellement le cerveau soit en utilisant des techniques d’imagerie comme l’électroencéphalographie (EEG), soit avec l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (iRMf). L’Israélien va plus loin en bossant avec le seul labo au monde – Caltech – où les cerveaux sont mappés à l’aide d’électrodes à l’intérieur même du crâne. Si si, dans le cerveau et non plus seulement autour de votre tête. On vous avait bien dit qu’il ne faisait jamais rien comme les autres !
Espionner les pensées
Cette technique est bien plus précise mais, bien sûr, ne peut être utilisée que sur des animaux. Qui voudrait se laisser ouvrir le crâne pour qu’y soient placés des électrodes ? Lui a réussi à trouver des volontaires : des patients touchés pas des maladies cérébrales, comme l’épilepsie.
Il travaille avec les rares scientifiques qui utilisent la technique dans le monde. En cinq années de durs labeurs, l’hurluberlu a fini par percer le mystère de la boite noire et à lire l’activité des neurones. Il peut saisir les sentiments et les zones d’angoisses dans le cerveau – un travail qui prend plusieurs semaines rien que pour cerner une zone d’émotion.
A chaque neurone et zone du cerveau, son émotion ou son souvenir. Le neuroscientifique prend comme exemple la série Les Simpson. Seulement quelques neurones vont réagir à la vue d’Omer Simpson. Une fois que ces neurones sont détectés, les chercheurs sont capables de savoir que vous pensez à Omer. Relier tous les neurones à chaque souvenir est un travail d’orfèvre, mais c’est aussi la certitude qu’il est possible de déchiffrer notre cervelle et surtout nos rêves.
Les recherches du hacker sont loin d’être terminées. Contrairement à ses autres vies, il ne semble plus avoir envie de changement. Le slasheur a trouvé son domaine, où il peut combiner ses différentes casquettes. Il ajoute à l’attention des générations futures :
“N’ayez pas peur de briser les frontières, d’être un hacker, un rebelle, un inadapté et savoir que c’est ok. Se vautrer en sciences est une bonne chose. Nous aurons tous connu des échecs dans la vie à un moment ou à un autre. Des échecs qui sont arrivés en essayant de faire quelque chose pour rendre le monde meilleur.”