
Ce n’est peut-être pas un hasard si les gilets jaunes les squattent partout en France depuis plusieurs semaines : en France, on trouve des ronds-points partout. Et selon le dernier recensement, on en compterait pas moins de 50 000. Un record mondial.
Le rond-point, nouveau symbole du ras le bol. À force d’en emprunter tous les jours, nous avons fini par les oublier, et pourtant… les ronds-points sont étrangement revenus dans l’actu ces jours-ci grâce (ou à cause) du mouvement des gilets jaunes. Transformés en bastion de résistance, occupés ou saccagés ces « carrefours giratoires » qui jusque-là suscitaient l’indifférence deviennent subitement un sujet de discussion médiatique, comme le souligne le magazine Slate : « Les gilets jaunes ont détourné la fonction des carrefours giratoires, transformant ces connecteurs froids de l’ère automobile en lieux de vie éphémères. » En d’autres termes, les révolutionnaires de 2018 prennent aujourd’hui d’assaut les ronds-points comme leurs ancêtres la Bastille. Mais comment en est-on arrivé là ?
Les #giletsjaunes s'installent à nouveau et s'organisent ce mercredi 12 décembre (vidéo tournée à midi) au rond-point de La Méridienne (base Intermarché), à #béziers via @midilibre #article3 pic.twitter.com/lGdKmet4Bc
— Antonia Jimenez (@ajimenezmidili1) December 12, 2018
Le rond-point, une histoire made in France. Peu le savent, mais le rond-point est une idée purement française… qui a plus d’un siècle. On doit l’un des premiers prototypes à Eugène Hénard, architecte et urbaniste de la mairie de Paris, et à qui l’on doit le rond-point de la place de l’Étoile (là où les gilets jaunes saccageront l’arc de triomphe ; voyez comme l’histoire est une boucle bouclée).
L’idée d’Eugène, c’est de fluidifier le trafic et simplifier la vie des piétons en forçant les voitures à ne circuler que dans un seul sens. L’idée fait mouche, et les politiques publiques vont rapidement l’adopter partout en France. Pourquoi ? Parce qu’il aurait permis de réduire de 40% les accidents. Conclusion : environ 500 ronds-points continueraient de sortir de terre tous les ans.
Avec presque 50 000 modèles installés partout en France, le pays en compte six fois plus que l’Allemagne, dix fois plus que les États-Unis.
Des coûts délirants. Même s’il est moins sexy que la tour Eiffel ou la baguette de pain, le rond-point est donc un symbole français, qu’on le veuille ou non. Avec presque 50 000 modèles installés partout en France, le pays en compte six fois plus que l’Allemagne, dix fois plus que les États-Unis. Une innovation exotique pour certains, une hérésie pour tous les autres. Car le rond-point coûte cher. Très cher : entre 200 000 et un million d’euros pour chaque nouveau modèle, sans compter les délires artistiques ou architecturaux que chaque commune ou région désire implanter sur les terre-pleins centraux.
Cet « art giratoire », à l’origine de nombreuses atrocités esthétiques, a donné naissance à un jeu concours pour élire le pire rond-point de France. Mais il est aussi devenu la cible de critiques sur la gestion de l’argent public, dépensé à tort et à travers selon le banquier Mathieu Pigasse, directeur général de Lazard France : « Près de deux milliards d’euros sont consacrés à la seule décoration de ces magnifiques ouvrages publics. » Tout cela est dit avec beaucoup d’ironie, comme on s’en doute.
Mais à l’heure des réductions de coûts généralisées, le mouvement des gilets jaunes pourrait aussi servir à questionner ces antiquités giratoires financées, on le rappelle, par le contribuable. Des alternatives plus économiques existent, notamment les ilots séparateurs ou les voies de tourne-à-gauche situées aux carrefours. À méditer, pour éviter, au moins cette fois, de continuer à tourner en rond.