
Les 35 premières années de sa vie, Adeline Grais Cernea a fait semblant que tout allait bien, au point qu’elle s’était presque habituée à elle : l’angoisse. Après une énième crise, elle a décidé d’écrire un livre. Pour Détours, elle explique comment s’en sortir.
Adieu chère angoisse. Avec le temps, et à force de vivre avec, c’est peut-être devenu votre petite copine : la crise d’angoisse (ou Panic attack en anglais). Une maladie encore trop souvent méprisée par le corps médical (à ne pas confondre avec la « simple » anxiété ») et qui touche un nombre de Français grandissant, même si les études sur la question restent encore très floues à ce sujet.
Paradoxalement, l’angoisse ne connaît pas la crise et, surtout en France, son cours est au beau fixe. Comment faire pour en finir avec cette colocation cérébrale à la fois pénible et handicapante ? Adeline Grais Cernea a fini par prendre le problème entre quatre yeux et c’est ce passionnant témoignage qu’on peut lire dans Adieu chère angoisse, son ouvrage récemment paru chez Payot. Si ce qui suit ne règle évidemment pas tous les problèmes, il vous permettra peut-être de trouver un début de réponse à vos propres questionnements.
Pour commencer, comme tu l’expliques dans le livre sur plusieurs pages, peux-tu rappeler la différence selon toi entre une crise d’angoisse et un simple état d’anxiété ou un burn out par exemple ?
Je n’ai jamais expérimenté de burn out donc je ne pense pas être en mesure d’en parler. “L’état d’angoisse” est, selon moi, un état constant qui mêle l’anxiété à des sensations désagréables dans le corps. Dans mon cas, physiquement, des nausées associées à une gêne au niveau du plexus solaire. En gros : on se “sent mal” tout le temps, sans pouvoir vraiment l’expliquer. Dans cette anxiété germe une intuition : quelque chose ne va pas bien et va bientôt se révéler : la crise arrive petit à petit et finit par exploser. On peut se sentir en état d’angoisse plusieurs jours, sans relâche et faire une crise au bout de deux semaines, deux jours, un mois ? C’est cela qui est très déroutant. On sent et sait que cela va arriver, mais on ne sait pas quand. Pendant la crise, on ressent des désagréments physiques très forts qui laissent suggérer que la mort pourrait être imminente (douleur dans la poitrine, difficultés à respirer, sensations de vertige) et alors, si on ne se calme pas très vite, on tombe dans la panique et bien sûr cela peut être dangereux, car c’est une perte de contrôle.
Les crises d’angoisse dont tu parles sont des expériences à la fois traumatisantes et un peu honteuses. Quel a été le déclencheur pour toi, pour continuer à combattre cet état ?
Qu’on ne connaisse pas le sens de la vie est assez insupportable pour qu’on essaye au moins de trouver une raison d’être à tout le reste. Il était inconcevable que mon angoisse et mes crises n’aient aucune explication plausible. Il fallait que je trouve le pourquoi du comment, que je teste toutes les éventualités. Je regardais des photos de moi enfant en me disant que je devais absolument redevenir celle que j’avais été. Ne rien faire, ça aurait été une forme de suicide, et j’aime trop faire partie du monde pour ça.
« Le danger, c’est de creuser seul son trou de l’angoisse, dans le silence. »
Quels sont les conseils fondamentaux que tu donnerais à quelqu’un qui souhaiterait s’en sortir ?
Déjà, je veux dire qu’il n’y a pas de remède miracle, car il n’y a pas de crise type. Les raisons pour lesquelles le corps s’exprime de cette façon sont très compliquées et relatives à chaque personne.
La première chose est d’en parler avec un médecin et de chercher ensemble les causes en éliminant progressivement certains facteurs : maladies, effets de médicaments, intolérances alimentaires, carences en vitamines et magnésium… En fait, les raisons de se sentir mal physiquement peuvent être nombreuses, concrètes, et le cerveau n’en a pas toujours conscience ; pour peu que l’on soit de nature anxieuse, et c’est un boulevard pour que l’angoisse s’installe tranquillement. En parallèle, la thérapie est importante, car elle va déceler d’autres effets secondaires physiques en disséquant les traumatismes, les chocs émotionnels, tous les problèmes psychologiques, et ceux-là, au jour le jour, ils nourrissent l’angoisse. On peut alors faire des exercices pratiques très simples (yoga, footing, piscine) qui vont permettre de mieux appréhender les crises : prendre des notes dans un carnet, lister ses contrariétés, etc.
“La marche est un bon moyen pour remettre son corps en route !”
Après, il faut éliminer les mauvaises ondes, suer, et ne pas abandonner sa vitalité. Quand on est dans l’angoisse, on a si peu confiance en soi, que l’on ne fait plus confiance à son propre corps. Or le sport est un moyen facile pour retrouver un sentiment de fierté lié à l’effort. Ce n’est pas évident, car les angoissés, dans le doute d’être atteint d’une maladie non décelée, peuvent avoir peur de faire une activité physique… Il faut donc y aller progressivement et toujours avec l’accord de son médecin. La marche est un bon moyen pour remettre son corps en route !
Il faut ensuite apprendre à se relaxer. Pour de vrai. Maîtriser le relâchement des muscles. Savoir respirer. La méditation, le yoga, sont des disciplines qui réapprennent le souffle.
Et puis, il ne faut surtout plus se priver de faire les choses que l’on aime. S’accomplir. S’épanouir enfin. Il faut se lancer. Prendre ce cours de théâtre, changer de canapé, dire à Michel qu’on l’aime, faire un potager, que sais-je ! Pour finir : il ne faut pas hésiter à en parler ouvertement. Plus les gens en discuteront ensemble, plus ils s’aideront mutuellement et rapidement. Le danger, c’est de creuser seul son trou de l’angoisse, dans le silence.
Et avec ton expérience, les choses à absolument éviter pour s’en sortir ?
De mon point de vue, se gaver d’anxiolytiques, d’antidépresseurs en pensant que leur action va guérir le mal-être est un non-sens total. À côté de ça, il faut tout essayer (piscine, shiatsu, sophrologie, acuponcture, course à pieds, massages etc.), tant que ce n’est pas pesant, ou dangereux pour la santé, d’où l’importance d’en parler d’abord avec un médecin.
« La société ne méprise pas cette maladie, c’est juste que pour l’instant, elle ne la connait pas. »
Dans la lecture du livre on a parfois l’impression que passé un certain stade, l’angoisse peut devenir une drogue, une addiction, et qu’on a du mal à imaginer le jour d’après, quand on pourrait vivre sans (comme après avoir arrêté la cigarette). Tu confirmes ?
Oh que oui… Ce n’est pas une dépendance physique, c’est bien trop désagréable pour ça, mais plutôt une sorte d’amitié psychologique. Car l’angoisse peut cacher la plus terrible des peurs : celle de réussir. Grâce à l’angoisse, on se préserve, on ne prend plus de risques car tout est potentiellement dangereux et facteur de crise. On se replie sur soi et alors elle devient cette excuse dont on ne peut plus se passer. Une vraie raison d’être. D’être malheureux, certes, mais voilà quelque chose de bien concret qui nous rassure. Si l’angoisse disparaît, qu’est-ce qu’on va devenir ?
Tu parles de l’angoisse comme d’une langue morte qu’il faudrait réapprendre à parler (un peu comme le latin, quoi). As-tu l’impression qu’aujourd’hui on refoule l’expression du corps, que la société méprise cette maladie invisible ?
C’est très dur pour une société de notre taille, de prendre en considération les émotions de chaque personne. Peut-être même impossible. On est obligés de fonctionner par petits groupes, mais chaque groupe développe ses propres règles et interprétations… La société ne méprise pas cette maladie, c’est juste que pour l’instant, elle ne la connait pas. J’ai l’impression que nous en sommes au stade où l’on découvre parchemins sur parchemins et que si l’écriture est bien confirmée, son sens l’est beaucoup moins. Je crois que c’est un symptôme très primaire et qui a les tripes pour cerveau. J’imagine alors une sorte de corps émotionnel, plus habitué à dialoguer avec le subconscient (dans cette langue morte oubliée) et qui tout d’un coup se trompe de chemin et parle directement au cerveau, à la conscience. Une information qui fait du hors piste et c’est la pagaille : la crise. Je suis certaine qu’il faut recréer des ponts scientifiques entre les organes et les sentiments, le conscient et le subconscient. J’espère que le CNRS travaille là-dessus !
Enfin, pour toi qui as bien bossé le sujet, la France, pays légendaire des médicaments et antidépresseurs, est-elle plus touchée par l’angoisse que d’autres pays ?
Je n’en sais rien du tout ! Cependant, il faut avoir un peu de temps libre pour se sentir mal constamment… C’est d’ailleurs ça qui rend l’angoisse si honteuse : il faut un espace inoccupé dans sa vie pour la fourrer. Une population dont le pays est en guerre, ou qui doit faire fasse à la famine, et qui donc, est déjà dans un processus de survie, ne s’infligera pas forcément cette forme de stress supplémentaire (sans vouloir comparer les deux). Je ne crois pas que ce soit “une maladie de riches” pour autant, plutôt une maladie d’existentialistes qui se cherchent.
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