
C'était il y a pile deux ans : le 17 novembre 2018, la mobilité s'invitait à la table d'un mouvement social inédit en France, avec 282 000 personnes manifestant contre la hausse du prix de l'essence et du diesel. Vingt-quatre mois plus tard, la bataille entre les Français déclassés et le gouvernement laisse à penser que personne n'est sorti gagnant de cette guerre opposant la fiscalité et l'écologie.
“La guerre des ronds points.” Cela aurait pu être le nom d’un film, mais c’est le sous-titre d’une histoire vraie qui va immobiliser la France, deux ans avant le coronavirus. Loin de n’être qu’un blocage des ronds points, le mouvement dit “des gilets jaunes” est d’abord une révolte du peuple digne de 1789, cristallisant la désaffection des Français pour les élites, surtout celles qui gouvernent.
Au départ, le gouvernement Macron ne voit pas la vague arriver. Un projet de loi vise à taxer plus lourdement l’essence et le diesel, au nom de la fiscalité énergétique. Nicolas Hulot a déjà claqué la porte du gouvernement, deux mois plus tôt, lorsque la grogne des Français commençait à monter en novembre 2018. D’abord sur les réseaux sociaux, où les témoignages spontanés se multiplient. On dénonce ce qui ressemble à une pénalisation des Français isolés ayant besoin de leurs véhicules. Puis dans la rue, pour prolonger le sentiment de déclassement qui gagne peu à peu plusieurs couches de la société française. De samedi en samedi, de manifestations en bavures, et de tentatives de conciliation en polémiques, le mouvement grandira jusqu’à devenir une appellation comprise de tous et toutes. Être gilet jaune, c’est refuser le diktat d’une minorité. Et c’est indirectement placer la mobilité au centre du débat public.
Un mouvement tué par le coronavirus. Fortement médiatisé, mais aussi sous-estimé, méprisé voire incompris, le mouvement des gilets jaunes s’étiole peu à peu fin 2019. À cela, deux raisons : le déblocage par le gouvernement de 17 milliards d’euros, sous la forme d’une revalorisation de la prime d’activité ou de prime défiscalisée. Même si perçues comme inaudibles pour les Français, ces mesures ont permis, en apparence, d’éteindre un feu de plusieurs mois. Feu qui était déjà d’une moindre intensité en raison de la lassitude qui gagne progressivement les manifestants les plus résolus. La pose des jours de congé, le froid, la fatigue sur la durée vont peu à peu faire perdre des couleurs au mouvement, finalement et définitivement freiné par le premier confinement de mars dernier, empêchant de facto toute mobilisation ou rassemblement physique. Fin de l’acte 1.
De la rue à internet. Même si la taxe sur les hydrocarbures est à l’origine du conflit, celui-ci s’est déplacé de mois en mois sur un terrain plus large, au point que certains peinent désormais à comprendre la raison de cette révolution. Preuve de ce flou progressif, un sondage IFOP de septembre 2020 indiquait que désormais seuls 10% de la population se sentaient appartenir aux gilets jaunes, soit deux fois moins qu’à la fin 2018.
Pour autant, le mouvement n’est pas mort, il s’est simplement déplacé et trouve désormais dans le couvre-feu et le reconfinement de nouvelles raisons de contester l’ordre établi. Là encore, le lien entre revendications sociales et mobilité s’avère plus que jamais pertinent.
MANIF samedi #7novembre #NON au re-confinement aux privations de liberté aux masques pour les enfants! au manque cruel de moyens ds les hôpitaux!
11H on se retrouve parvis des droits de l’homme #Trocadero
suivez l’événement facebookhttps://t.co/yl5tvmWgLb pic.twitter.com/pa7WQpTfLi— Force Jaune : la 2ème vague des #GJ #ForceJaune (@ForceJauneGJ) November 5, 2020
Aujourd’hui, le groupe Facebook “officiel” des gilets jaunes compte encore 1,6 millions de membres, preuve définitive que même dans l’incapacité de sortir à l’air libre, le mouvement est encore loin d’avoir dit son dernier mot. Renaîtra-t-il de ses cendres en 2021, avec l’arrivée du vaccin anti Covid-19 ? Ou, à l’inverse, les Français seront-ils trop heureux de re-goûter aux libertés fondamentales pour ressortir les gilets ? À l’heure actuelle, nul ne le sait. La seule victime du match, in fine, c’est le diesel. Avec une mort déjà annoncée dans plusieurs villes (Paris, Lyon, etc), celui qui mis le feu aux poudres ne devrait pas se relever.


