
Plus qu’un maraîcher, "Incroyables Comestibles" est un mouvement qui utilise l’agriculture urbaine participative pour créer du lien entre les citoyens. Des centaines de groupes locaux essaiment dans le monde entier. Rencontre avec son coordinateur, Philippe Béchet de Poissy.
Dans quel but votre mouvement a-t-il été créé ?
Incroyables Comestibles est né à Todmorden, à 20 km de Manchester au Royaume-Uni. Cette commune de 14 000 habitants a été marquée par la guerre : partis combattre, très peu d’hommes sont revenus. Les femmes ont dû s’en sortir par elles-mêmes, ce qui a créé une forte culture de la solidarité et de l’entraide. Ensuite, le déclin de l’industrie textile a provoqué une explosion du chômage. En 2006, deux femmes ont cherché à redynamiser leur ville et ont naturellement opté pour la nourriture. Elles ont récupéré des terrains en friche et les ont transformés en potagers accessibles à tous : chaque habitant peut participer à l’entretien ou simplement venir cueillir gratuitement des fruits et légumes de qualité.
L’initiative s’est répandue aux quatre coins de planète et des centaines de groupes locaux ont pris le relais. En France, le mouvement est arrivé au début des années 2010 en Alsace.
Qu’apportent ces potagers dans les villes où vous les installez ?
L’idée est d’installer une zone potagère dans l’espace public en invitant les habitants à consommer les récoltes. On peut aussi proposer aux passants de participer à l’entretien du potager. La fonction principale n’est pas tant de nourrir que de créer du lien ! Les gens sont curieux, viennent poser des questions, discuter de jardinage, échanger leurs bonnes pratiques. À Poissy, tous les ans, une personne vient planter des tomates et on ne sait pas qui c’est : c’est sa façon de nous saluer, de faire partie du mouvement… Il y a également une dimension pédagogique : renouer avec ce que l’on mange. Par exemple, récemment, un groupe d’écoliers a découvert que les carottes avaient des fanes. Ensuite, nous avons écossé des haricots ensemble et je leur ai donné des graines. Ils ont adoré ce moment.
« Ces potagers apportent de la poésie et du bien-être dans la ville : quand vous voyez des légumes cultivés par un anonyme et donnés sans contrepartie, cela insuffle quelque chose de positif et bienveillant. »
À qui s’adresse votre mouvement ?
Incroyables Comestibles est apolitique. Il y a d’un côté des jardiniers qui veulent donner un peu d’eux-même et de l’autre des cueilleurs qui ont envie de consommer de la nourriture locale et saine. Ce qui est amusant, c’est de voir les comportements des cueilleurs. Souvent, ils récoltent les courgettes trop tôt : ils ont l’habitude de les voir en petit calibre dans les supermarchés alors qu’en réalité, elles ne sont pas encore mûres. Et souvent, ils ne cueillent pas ce qu’ils ne connaissent pas : j’ai par exemple planté du basilic pourpre qui reste intact car personne ne se doute que c’est comestible.
Quel retentissement avez-vous en France, par rapport à d’autres pays ?
Globalement, les gens développent de plus en plus leur conscience écologique, depuis cinq, six ans. Et le film Demain réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent a largement contribué à faire connaître l’initiative. Il existe aujourd’hui entre 450 et 500 antennes locales sur le territoire : mais toutes ne sont pas actives. Il arrive que les gens soient séduits par le concept mais ne prennent pas la mesure de l’engagement que cela représente. Entretenir un potager, ce n’est pas si facile : il faut avoir des compétences, prendre le temps d’y passer tous les jours, trouver un remplaçant quand on part en vacances… Le mieux, c’est de monter un groupe avec des gens qui se relaient, ce qui fonctionne très bien dans certains pays comme l’Angleterre ou le Canada. Malgré tout, il y a des groupes locaux qui fonctionnent très bien : à Albi dans le Tarn, à Metz, à Cergy et Rennes… À Poissy, où je suis installé, nous avons créé une dynamique autour du potager avec un four à pain, une épicerie collaborative et même un poulailler !
Pour en savoir plus : lesincroyablescomestibles.fr