
Épisode après épisode, la série dépasse son rôle de divertissement pour endosser le costume d’oracle. Toutefois, ce n’est pas tant ici une histoire de boule de cristal que de bon sens.
Si on a pour habitude de dire que la réalité dépasse souvent la fiction, dans le cas de la série Black Mirror, la fiction a bien souvent prédit ce qui allait advenir dans la réalité. Et contrairement à ce qui a pu arriver parfois avec des œuvres littéraires ou cinématographiques, où la vision d’un artiste devenait réalité des décennies plus tard, Charlie Brooker, l’homme aux manettes de la série déjà culte, a le don de deviner le futur proche, à une échéance d’une poignée d’années. Passerait encore si c’était arrivé une fois… Mais là, clairement, c’est tellement récurrent qu’il ne fait aucun doute : Brooker et ses équipes appliquent une méthode. Décryptage en trois points.
1/ Faire une veille poussée, repérer des initiatives flippantes et en extrapoler les conséquences
La saison 3 de Black Mirror s’ouvrait sur Chute Libre, un épisode aussi beau que terrifiant qui met en scène les mésaventures d’une jeune fille dans une société reposant sur un système de notation sociale similaire à ce qui existe aujourd’hui lorsque vous évaluez votre chauffeur Uber. Mais là, grâce à une technologie de lentille permettant de noter tout le monde, en temps réel, selon leurs agissements, Black Mirror dessinait une société horrible, où l’accession à des catégories de services, d’emplois ou d’appartement était corrélée à la note de chacun.
Cela pourrait juste être un mauvais rêve. Sauf que, comme on vous en parlait il y a quelques temps sur Détours, la Chine travaille ardemment à la mise en place d’un programme de notation des citoyens en temps réel, avec un barème de points. Voilà qui rappelle étrangement l’instrument de contrôle terrifiant dont il est question dans cet épisode. Or, si cette histoire chinoise fait seulement les gros titres depuis quelques semaines, à la suite de recherches conduites par des activistes, le programme chinois est en réalité en cours de développement… depuis 2014. Et cela n’avait pas échappé aux créateurs de la série qui se sont finalement contentés d’en imaginer les applications.
2/ Repérer les signaux faibles dans la société et jouer la carte de la logique
Il y a quelques mois, toujours sur Détours, on vous racontait le projet « Human Power Plant » de l’université hollandaise d’Utrecht, consistant à créer une centrale électrique humaine. Le principe : pour générer l’énergie de leur résidence et combler leurs besoins, les étudiants seraient tenus de s’adonner chaque jour à deux heures de vélo d’entraînement dans une salle dédiée. Or, dès 2011, dans l’épisode 15 millions de mérites de la saison 1, Black Mirror mettait en scène le quotidien de jeunes adultes, Bing Madsen et Abi Carner, qui passent la majeure partie de leur journée à pédaler sur des vélos d’appartement… pour générer de l’électricité, échangée contre de l’argent. Et, histoire qu’il y ait une carotte valable, dans le show, les pédaleurs participent à des jeux virtuels débiles en même temps qu’ils triment, avec la promesse pour les meilleurs scoreurs de participer à une sorte de X Factor.
Derrière l’anticipation évidente de ce que nos amis hollandais présentent aujourd’hui comme un défi social et physique (omettant la dimension totalement abrutissante de la chose), les créateurs de Black Mirror pointaient notre addiction aux jeux freemium sur les téléphones mobiles et notre propension à nous aliéner en jouant en boucle, avec des perspectives de pseudo-célébrité parfaitement illusoires au bout du compte.
3/ Imaginer des technologies tellement fortes que les humains décident de les créer pour de vrai
Parmi les épisodes qui ont fortement marqué les esprits, tout le monde se souvient de Waldo, ce comédien aux commandes d’un ours bleu numérique en motion design. À force de casser du sucre sur les politiciens, Waldo devient si populaire qu’il entreprend de briguer lui-même un mandat politique en brisant totalement les codes habituels et en s’appuyant sur des saillies essentiellement populistes. Au-delà du fait que le principe même était complètement visionnaire sur ce qu’allait être la candidature de Donald Trump (rappelez-vous d’ailleurs ce tweet extraordinaire du community manager de Black Mirror au moment de l’annonce de la victoire du blondin), cet épisode prédisait ce qui a été l’une des plus grosses sensations tech de cette année : l’animoji de l’iPhone X.
This isn't an episode. This isn't marketing. This is reality.
— Black Mirror (@blackmirror) November 9, 2016
Quatre après cet inoubliable ours animé, Apple permet désormais à ses utilisateurs, grâce à la reconnaissance faciale, de contrôler les emojis. Et on peut être à peu près sûr qu’une telle réalité se reproduira avec d’autres technologies de cet acabit dans le futur, car finalement, les créateurs de Black Mirror, comme toujours, n’inventent pas ces technologies de toutes pièces. Ils extrapolent plutôt des réalités dont nous ne sommes plus si loin. Mais ils font ça si bien, en les sortant de leur cadre habituel, que ça en devient irrésistible… Voyez plutôt :